Pierres Anagogiques, Roger Caillois, l’alchimiste du regard aux Éditions Gallimard

Il y a chez Roger Caillois une fascination obstinée pour la matière, une manière singulière d’interroger le monde à travers ce qu’il a de plus immobile. Marguerite Yourcenar le surnommait « l’homme qui aimait les pierres » ; l’expression dit à la fois la tendresse et la ferveur d’un esprit qui, dès les années 1950, se prit de passion pour ces énigmatiques fragments de terre, ces miroirs fossiles du temps. Dans Pierres Anagogiques, un ouvrage posthume reconstitué par François Farges, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, renaît ce dialogue suspendu entre la poésie et la géologie, entre l’œil et la matière.
Le point de départ est un sommaire manuscrit retrouvé dans les archives de Roger Caillois, ultime trace d’un projet demeuré inachevé. François Farges, avec la rigueur du scientifique et la sensibilité du lecteur, y a vu la promesse d’une œuvre à recomposer. En associant les textes originaux de l’écrivain aux images des pierres qu’il contemplait, principalement des agates, ces paysages miniatures aux reflets d’orage. Il recrée un ensemble qui se lit comme une méditation sur la beauté et le mystère du monde minéral.
Roger Caillois ne se contente pas de décrire, il déchiffre. Les surfaces polies lui apparaissent comme des alphabets secrets, où se mêlent figures de nuées, vallons imaginaires, silhouettes d’animaux fabuleux. Son regard, porté par l’émerveillement, franchit les limites du réel pour s’aventurer dans une géographie intérieure. La pierre devient alors un support de rêverie, un territoire où l’esprit s’exerce à reconnaître, dans l’immuable, le passage de l’infini.
Ce livre, qui paraît à l’occasion de l’exposition Rêveries de pierres : Poésie et minéraux de Roger Caillois (École des Arts Joailliers et Muséum national d’Histoire naturelle, du 6 novembre 2025 au 29 mars 2026, à l’Hôtel de Mercy-Argenteau), prolonge ce cheminement. Il invite à redécouvrir une pensée qui, loin de séparer science et poésie, cherche dans la matière l’écho d’une vérité plus vaste.
À travers Pierres Anagogiques, le lecteur retrouve l’éclat d’un regard qui, face à l’opacité du monde, sut y lire des paysages d’âme.
