Au détour d’une lecture, la littérature parle de bijoux surprenant comme d’une tortue précieuse.
Alors connaissez-vous l’incroyable tortue précieuse, rutilante de gemmes de Jean des Esseintes ?
Personnage principal du roman A Rebours de la fin du XIXème siècle, l’auteur Joris-Karl Huysmans nous entraine vers la folie des gemmes.
Il faut savoir que Jean des Esseintes, esthète maniaque à l’esprit décadent, est fasciné par les couleurs. Aussi une idée incroyable lui vient à l’esprit pour donner de la vie à son tapis.
C’est ainsi que : “Regardant, un jour un tapis d’orient à reflets et, suivant les lueurs argentées qui couraient sur la trame de la laine, jaune aladin et violet prune, il s’était dit : il serait bon de placer sur ce tapis quelque chose qui remuât et dont le ton foncé aiguisât la vivacité de ces teintes.
Possédé par cette idée, il avait vagué, au hasard des rues, était arrivé au Palais Royal, et devant la vitrine de Chevet s’était frappé le front : une énorme tortue était là, dans un bassin. Il l’avait acheté : puis, une fois abandonnée sur le tapis, il s’était assis devant-elle et il l’avait longuement contemplée, en clignant de l’oeil.
Décidément la couleur tête-de-nègre, le ton de Sienne crue de cette carapace salissaient les reflets du tapis sans les activer; les lueurs dominantes de l’argent étincelaient maintenant à peine, rampant avec les tons froids du zinc écorché, sur les bords de ce test dur et terne.(…)
Il découvrit enfin que sa première idée, consistant à vouloir attiser les feux de l’étoffe par le balancement d’un objet sombre mis dessus était fausse; en somme, ce tapis était encore trop voyant(…) Il s’agissait de renverser la proposition, d’amortir les tons, de les éteindre par le contraste d’un objet éclatant, écrasant tout autour de lui, jetant de la lumière d’or sur de l’argent pâle.(…) Il se détermina à faire glacer d’or la cuirasse de la tortue.(…)
La bête fulgura comme le soleil, rayonna sur le tapis (…) Des Esseintes fut tout d’abord enchanté de cet effet; puis il pensa que ce gigantesque bijou n’était qu’ébauché, qu’il ne serait vraiment complet qu’après qu’il aurait été incrusté de pierres rares.
Il choisit dans une collection japonaise un dessin représentant un essaim de fleurs, l’emportat chez un joaillier, et il fit savoir au lapidaire stupéfié que les feuilles, que les pétales de chacune de ces fleurs, seraient exécutés en pierreries et montés dans l’écaille même de la bête (…)
Le choix des pierres l’arrêta; le diamant est devenu singulièrement commun depuis que tous les commerçants en portent au petits doigt; les émeraudes et les rubis de l’Orient sont moins avilis, lancent de rutilantes flammes, mais ils rappellent par trop ces yeux verts et rouges de certains omnibus qui arborent des fanaux de ces des couleurs; quant aux topazes brûlés ou crues, ce sont des pierres à bon marché. (…)
Décidément aucune de ces pierreries ne contentait des Esseintes; elles étaient d’ailleurs trop civilisées et trop connues. Il fit ruisseler entre ses doigts des minéraux plus surprenants et plus bizarres, finit par trier une série de pierres réelles et factices dont le mélange devait produire une harmonie fascinatrice et déconcertante.
Il composa ainsi le bouquet de ses fleurs : les feuilles furent serties de pierreries d’un vert accentué et précis : de chrysobéryls vert asperge ; de péridots vert poireau ; d’olivines vert olive et elles se détachèrent de branches almadine et en ouwarvite d’un rouge violacé, jetant des paillettes d’un éclat sec, de même que ces micas de tartre qui luisent dans l’intérieur des futailles (…) Trois pierres dardaient en effet des scintillements mystérieux et pervers, douloureusement marchés du fond glacé leur eau trouble : Yeux de chat de Ceylan, cymophanes et saphirines.
L’oeil de chat d’un gris verdâtre, strié de veines concentriques qui paraissent remuer, se déplacer à tout moment, selon la disposition de la lumière. Le cymophane avec des moires azurées courant sur la teinte laiteuse qui flotte à l’intérieur.
La saphirine qui allume des feux bleuâtres de phosphore sur une fond de chocolat, brun sourd.(…)
Des Esseintes regardait maintenant, blottie en un coin de sa salle à manger, la tortue rutilait dans la pénombre.(…)”.
Je ne vous raconte pas la fin de la tortue car elle est funeste.
… sauf si vous êtes vraiment très nombreux à me la demander.